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Pesticides : L’effet-cocktail du Monde et de Générations Futures

« L’inquiétant effet-cocktail des pesticides sur nos cellules » : voilà un titre qui ne peut que faire exploser le taux d’adrénaline du lecteur ! D’autant plus que Grégoire Allix, l’auteur de l’article ainsi intitulé paru le 7 août 2012 dans Le Monde, ne fait pas dans la dentelle. Pour appuyer ses propos, il s’est basé sur la récente étude publiée par le Pr Coleman, de l’Université d’Aston (Royaume-Uni). « Des substances réputées sans effet pour la reproduction humaine, non neurotoxiques et non cancérigènes [pyriméthanil, cyprodinil et fludioxonil] ont, en combinaison, des effets insoupçonnés », s’inquiète le journaliste, qui tire la sonnette d’alarme sur les « risques d’une vulnérabilité accrue à des maladies neurodégénératives comme Alzheimer, Parkin- son ou la sclérose en plaques ».

Du pain bénit pour Marie-Monique Robin, l’auteur de Notre poison quotidien ! Aurait-elle vu juste là où toutes les autorités sanitaires se seraient, au mieux, trompées, au pire, laissé aveugler par la puissance des lobbies ? Pas si sûr ! Car le journaliste du Monde –à l’instar de certains de ses collègues, qui ont essentiellement repris le communiqué de presse du Pr Coleman– ne semble pas avoir poussé son enquête très loin. A-t-il croisé les propos des deux auteurs de l’étude, le Pr Coleman et le biologiste moléculaire Claude Reiss, avec ceux de toxicologues reconnus ? Rien ne l’indique. Grégoire Allix semble s’être contenté de reprendre leurs propos et de laisser à François Veillerette, le Monsieur Antipesticides du tout-Paris – par ailleurs l’un des commanditaires de l’étude – le soin d’en tirer les inévitables conclusions alarmistes.

Dessin de CRichard pour AE / L’effet-cocktail du Monde et de Générations Futures

À la fois concepteur et financeur de l’étude

Pourtant, sur la forme comme sur le fond, l’étude prête le flanc à la critique. Ainsi, Claude Reiss est à la fois son co-auteur et le patron d’Antidote Europe, l’un de ses financeurs. Dans ces conditions, difficile d’affirmer – comme le fait l’étude – que « les sponsors n’ont eu aucun rôle dans l’élaboration, la collecte et l’analyse des données, la décision de publier ou la rédaction du manuscrit » !

Or, cet ancien chercheur du CNRS est habité par une idée fixe : démontrer l’inutilité totale des tests de toxicité effectués sur animaux. Il suggère de les remplacer par des tests in vitro sur des cultures de cellules humaines. « La biologie moléculaire, comme toutes les techniques in vitro qui exploitent les mécanismes vitaux, offre cette possibilité de bavarder avec les cellules, notamment par l’intermédiaire de ce que l’on appelle les gènes de stress », explique le chercheur français « le mieux informé sur le sujet », pour reprendre les propos de la revue Nouvelles Clés, un magazine relevant de la mouvance spiritualiste. Et lorsqu’il s’agit de ses collègues français, le biologiste ne mâche pas ses mots ! « Les gouvernements successifs ont été invariablement conseillés par un sérail de vieux chercheurs et techniciens récalcitrants formés à l’ancienne école, et donc davantage attachés à persuader les pouvoirs publics de la nécessité de poursuivre l’expérimentation animale que de permettre à la France de rattraper son retard considérable », assène-t-il. Ce Don Quichotte des temps modernes n’est pas plus tendre vis-à-vis de l’Union européenne qui, selon lui, continue à imposer les tests sur rongeurs.

 

L’effet-cocktail du Monde et de Générations Futures / Des effets antagonistes
Dans leur étude, Coleman et al. notent la présence d’effets synergiques supposés lorsque les différents pesticides sont injectés directement dans les cellules. Selon la figure 3 de ce document, ceux-ci sont effectivement significatifs à 500 μM (100 ppm). Or, la limite maximale de résidus (LMR) de la plupart des aliments que nous ingérons se situe plutôt à hauteur de 0,05 ppm. Autrement dit, les concentrations utilisées dans l’expérience dépassent largement ce que l’on retrouve – même dans les pires scénarios – dans notre alimentation ! Comme l’a si justement indiqué la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), « pour qu’une information soit solide et exploitable, elle doit être complète […]. Le consommateur mérite la vérité. Oui, mais toute la vérité » D’ailleurs, celle-ci est plutôt curieuse ; car la figure 3 montre qu’à des doses de 62,5 μM (soit de l’ordre de 12 ppm), on observerait plutôt… un effet antagoniste ! Dommage que les auteurs n’apportent aucune explication à cet étrange phénomène…

Créée suite à son départ précipité de l’Institut Jacques Monod, Antidote Europe a donc avant tout pour objectif de prouver que les tests de toxicité sont possibles sans avoir recours aux animaux. En 2008, François Veillerette, le patron de Générations Futures, lui a proposé d’établir la toxicité d’un cocktail de plusieurs pesticides retrouvés sur une même grappe de raisin. « Générations Futures et Antidote Europe se sont donc associées pour concevoir et financer les expériences nécessaires à cette démonstration », explique le maître-d’œuvre de l’étude, dès lors associé au président de Générations Futures. Sans surprise, les conclusions des travaux, financés à hauteur de 70000 euros – notamment grâce à la participation de deux associations de défense des droits animaliers, The Marchig Animal Welfare Trust Edinburgh et l’Union belge pour l’abolition de l’expérimentation sur animaux vivants –, correspondent exactement aux attentes des deux commanditaires…

Voilà pour la forme. Quant aux fond, il mérite également quelques observations. Certes, l’utilisation de tests de toxicologie in vitro demeure une pratique pertinente, notamment grâce aux avancées de la biologie moléculaire. Ces tests ont d’ailleurs participé à la naissance de la toxicogénomique. Ils fournissent des informations précises sur le mécanisme d’une action toxique potentielle et permettent de révéler et de caractériser des toxicités de nature très variable. L’idée de limiter les tests réalisés sur animaux ne date pas d’hier : elle a été présentée dès 1959 dans The Principles of Humane Experimental Technique, un ouvrage rédigé par deux scientifiques britanniques, W.M.S. Russell et Rex Burch. Ils y théorisaient le principe des trois R : réduction des animaux utilisés, raffinement des protocoles et remplacement des tests. Au milieu des années soixante-dix, le mouvement en faveur de la protection des animaux de laboratoire s’est amplifié. Aujourd’hui, plus personne ne conteste le fait que ce type d’expérimentations peut livrer une grande quantité d’informations sur la toxicité intrinsèque d’un produit ou sur son mécanisme de toxicité cellulaire et moléculaire. Toutefois, se limiter à l’observation d’un produit sur un seul type de cellules ne permet pas de prévoir ses effets sur un organisme complexe. Faisant preuve d’une prudence judicieusement occultée par Grégoire Allix, le Pr Michael Coleman suggère d’ailleurs de « poursuivre d’autres études pour mieux appréhender l’impact réel » de ses travaux, présentés comme « préliminaires ». On le comprend !

L’organisme dispose d’une multitude de barrières (notamment l’intestin, le foie et les reins), ainsi que de différents systèmes de défense

L’organisme dispose en effet d’une multitude de barrières (notamment l’intestin, le foie et les reins), ainsi que de différents systèmes de défense. Avant toute chose, il est donc essentiel d’étudier la toxicocinétique et la toxidynamique des composés analysés. C’est-à-dire de connaître leur devenir dans l’organisme. Vont-ils être absorbés ou non au niveau de l’intestin ? Seront-ils transformés ? Quelle sera ensuite leur distribution dans l’organisme ? En outre, l’organisme dispose de systèmes de réparation des atteintes à l’ADN et de systèmes de détoxification. Enfin, notre corps possède une arme fatale : l’apoptose, c’est-à-dire la mort programmée des cellules endommagées, si le cas se présente. Bref, il existe un très long chemin avant qu’un produit n’atteigne les cellules, notamment celles du système nerveux central, lui-même particulièrement bien protégé des agents pathogènes et des toxines circulant dans le sang grâce à sa barrière hématoencéphalique. L’introduction in vitro d’un produit dans les cellules fait abstraction de toutes ces contingences physiologiques, pourtant réelles.

Avant d’imaginer un protocole in vitro qui ait la moindre chance de simuler une situation réelle, il est donc indispensable de savoir si le composé initial et/ou ses métabolites sont en mesure d’atteindre le système nerveux central – objet de l’étude de Coleman– et, surtout, à quelle concentration. Une question que posent les auteurs de l’étude, sans toutefois y apporter le début d’une réponse… Bien entendu, ce qui atteint potentiellement le cerveau n’a rien à voir avec ce qui peut être présent dans les aliments, contrairement à ce que suggère l’étude. Les auteurs affirment ainsi que « ces effets ont été mis en évidence à des doses très faibles, des concentrations proches de celles trouvées dans nos aliments ».

On peut donc s’interroger sur les conclusions d’un test « préliminaire » réalisé in vitro, certes sur des cellules humaines (cellules U251 et SH-SY5Y), mais d’origine cancéreuse, issues de neuroblastomes métastatiques – c’est-à-dire qui se disséminent dans d’autres parties de l’organisme pour provoquer d’autres cancers ! –, et sur lesquelles on applique des composés sans tenir compte du devenir de ces produits dans l’organisme après la consommation d’aliments qui en renferment des traces…

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