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Pourquoi la directive sur les OGM est obsolète

Alors que la Commission européenne doit donner une nouvelle interprétation du champ d’application de la directive 2001/18, qui porte sur les plantes génétiquement modifiées, il n’est pas inutile de rappeler l’historique de cette mesure. Voulue par le législateur européen au début des années 2000 afin de pouvoir réglementer l’usage des OGM en Europe, cette directive est essentiellement le fruit d’un consensus visant à satisfaire des responsables politiques davantage habitués aux termes juridiques qu’aux réalités du monde scientifique.

Définition d’un OGM

Tel qu’il a été posé à l’époque, le problème consistait à isoler les techniques de transgénèse pour pouvoir leur donner un cadre légal spécifique. Dans un premier temps, la Commission a donc défini un OGM comme étant un organisme « dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ ou par recombinaison naturelle  ».

Consciente que cette définition incluait une multitude de variétés déjà largement commercialisées, consommées et obtenues par des techniques autres que la transgénèse (hybridation somatique, multiplication végétative in vitro, haploïdisation, mutagénèse, fusion de protoplastes, etc.), la Commission précisait en préambule que « la présente directive ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Implicitement, elle reconnaissait que la transgénèse n’est pas l’unique technique permettant d’obtenir et de caractériser un OGM. Prise à la lettre, sa définition considère en effet que 80 % des variétés hybrides de chou et de colza, les pamplemousses sans pépins, certaines variétés d’endives ou le riz de Camargue, sont des plantes génétiquement modifiées, au même titre que le maïs Bt ou la betterave résistante au RoundUp !

Un costume taillé sur mesure pour la transgénèse

Or, la directive visant à l’origine exclusivement la transgénèse (c’est-à-dire la technique de sélection variétale, et non pas le produit final), ses auteurs ont usé d’un subterfuge en établissant ensuite, de manière assez arbitraire, deux catégories dont l’une réunit les techniques qui « ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique » et dont la liste, non définitive, figurait en annexe. L’utilisation ou non d’acide nucléique recombinant (une technique utilisée exclusivement en transgénèse) est ainsi devenue l’un des critères permettant de savoir si l’organisme était couvert par la directive ou non. Sauf qu’en taillant ainsi un costume sur mesure aux plantes issues uniquement des techniques de transgénèse, la Commission a contribué à renforcer l’idée de leur éventuelle dangerosité, et donc de l’obligation d’une évaluation préalable spécifique. Pire, la transgénèse apparaît comme la seule technique n’étant pas « naturelle » (un terme évoqué à plusieurs reprises dans le texte).

Pourtant, on sait depuis longtemps que le « transfert horizontal » (c’est-à-dire le processus par lequel un organisme intègre du matériel génétique provenant d’un autre organisme sans en être le descendant) est un phénomène certes rare, mais tout à fait naturel. « La connaissance de plus en plus rapide des génomes de divers organismes confirme que la transgénèse naturelle a existé bien avant que l’homme la reproduise en laboratoire », écrit Philippe Joudrier, ancien président du Comité d’experts spécialisés en biotechnologie de l’Anses (ex-Afssa), et auteur du livre OGM : Pas de quoi avoir peur.

« En 2008, une équipe dirigée par Chris Bowler, du Département de Biologie de l’École Normale Supérieure, a publié dans Nature un article sur le génome d’une algue microscopique (la diatomée), démontrant que celui-ci est constitué de gènes trouvés chez les végétaux faisant de la photosynthèse, mais aussi de gènes du règne animal impliqués dans la production d’urée [1], poursuit l’expert.

Et ce ne sont pas les exemples qui manquent : on sait désormais que la coloration verte et rouge des pucerons Aphides résulte de la présence de gènes de champignons [2], ou encore que le génome de certains papillons contient des séquences d’ADN de virus, ce qui leur confère une certaine résistance vis-à-vis d’autres virus [3].« Ces papillons constituent de véritables organismes naturellement génétiquement modifiés », ironise Philippe Joudrier.

Enfin, plus récemment, les travaux d’une équipe de chercheurs dirigée par Tina Kyndt (Université de Gant, Belgique), qui a analysé 291 variétés de patates douces domestiques, ont mis en évidence la présence, dans leur génome, de deux segments d’ADN issus d’une bactérie du sol. Ces patates douces sont cultivées et consommées, alors qu’elles sont clairement des plantes génétiquement modifiées !

«  Au final, on se rend bien compte que la définition retenue par la Commission sur les OGM est obsolète, puisque contrairement à ce que l’on pensait initialement, la transgénèse est un phénomène complètement naturel. Une fois de plus, l’homme n’a fait que copier ce qui existe déjà ! », rappelle Philippe Joudrier. Le plus raisonnable serait donc d’abroger cette directive, qui n’a plus beaucoup de sens…

Sources

  • The Phaeodactylum genome reveals the evolutionary history of diatom genomes, Nature, 13 novembre 2008. »
  • A Fungal Past to Insect Color, Science, 30 avril 2010.
  • Recurrent Domestication by Lepidoptera of Genes from Their Parasites Mediated by Bracoviruses, PLoS Genet, 17 septembre 2015.
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