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Guerre commerciale : Biocoop appelle au boycott

Alors que SystèmeU, la coopérative présidée par Serge Papin, est accusée par l’association radicale anti-viande L214 de commercialiser des œufs pondus dans des élevages « sordides et non conformes aux réglementations », son ancien directeur de communication, Patrick Marguerie, peut dormir tranquille. Ou plutôt, il peut continuer à organiser sereinement la toute dernière campagne de communication de son nouvel employeur : Biocoop, le premier réseau de magasins bio en France.

Tous les dessins de CRichard publiés pour Agriculture et Environnement

« Biocoop ne s’est jamais aussi bien porté cette année et l’année dernière », se réjouit Patrick Marguerie. Le nouveau dircom’ impute cette prospérité à « la multiplication des scandales alimentaires, [qui] a rendu méfiants les consommateurs ». Sans hésitation, il admet que ses clients sont d’abord et avant tout des « égoïstes » : « Ils ont envie de se faire plaisir, de protéger leur santé et celle de leurs proches. Ils ont besoin d’être rassurés sur les questions de traçabilité, d’origine et de proximité. »

Mais, avertit Patrick Marguerie, le temps « des démarches didactiques, voulant tout expliquer » est révolu, car « les gens n’ont plus le temps pour ça. Ils n’ont ni le temps, ni l’envie, ils ne sont plus programmés pour une telle complexité de message  ».

C’est pourquoi il a choisi de faire appel aux bons et loyaux services d’une agence branchée, spécialisée dans les campagnes chocs aux messages faciles : Fred & Farid, l’agence de communication d’Orangina, de Carambar et de… Porsche. « Ces petits génies enfumés ont eu une idée noire. Pour redonner de l’intérêt à la boutique des peine-à-jouir, ils ont décidé de pourrir tout le reste  », commente sur son blog Daniel Sauvaitre, le président de l’Association nationale pommes poires (ANPP). Il n’a pas entièrement tort. En effet, Fred & Farid a décidé d’associer à un petit film plutôt soft sur les vertus de la consommation sans emballage –dont Biocoop n’a bien entendu pas le monopole– quelques visuels très racoleurs, ordonnant ni plus ni moins aux citoyens de boycotter les produits vendus par ses concurrents. « Il ne s’agit plus de suggérer au consommateur, mais de lui défendre d’acheter les produits présents sur la liste noire de Biocoop : le lait non bio, les pommes traitées chimiquement », résume Valentine Dal, journaliste pour la revue L’ADN. Cette démarche, répréhensible aux yeux de la loi notamment en raison de son caractère discriminatoire (article 225-2 du code pénal), fera l’objet d’une assignation en référé déposée par Interfel, l’inter-profession des fruits et légumes frais.

« L’enjeu pour Biocoop, et c’est ce que l’agence Fred & Farid nous apporte, c’est de pouvoir, en un condensé de mots et d’images, créer un visuel suffisamment choc pour donner envie aux consommateurs d’aller plus loin  », se justifie Patrick Marguerie. Sauf que certains visuels – notamment celui sur les pommes – contiennent des messages mensongers, estime Daniel Sauvaitre. « Faire croire que les pommes vendues par Biocoop ne sont pas traitées chimiquement relève de la publicité mensongère », affirme le président de l’ANPP.

Si tel était le cas, l’indice de fréquence de traitement (IFT) serait en effet égal à zéro pour un verger conduit en agriculture biologique. Or, la réalité est tout autre. Pire, l’IFT en AB peut même être supérieur à celui d’un verger conduit en protection intégrée ! Ce que ne peut ignorer le directeur de Biocoop, puisque ce fait ressort de tous les essais conduits par l’Inra, dont les conclusions ont été rendues publiques lors d’un atelier organisé par l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) le 12 décembre 2012, ainsi que des travaux de l’Inra portant sur une approche système de vergers, qui ont été présentés lors de l’édition 2014 du salon des productions végétales à Angers. Les résultats de huit années d’expérimentation comparative ont d’ailleurs démontré que les méthodes les plus respectueuses de l’environnement ne sont pas toujours celles conduites en bio !

Produits bio… chimiques

S’il est vrai que les techniques de désherbage mécanique, utilisées en bio comme en conventionnel, permettent une réduction de l’IFT au prix d’une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, l’affaire se complique lorsqu’il faut lutter contre les problèmes fongiques (notamment la tavelure) ou les attaques de pucerons. C’est pourquoi les arboriculteurs bio disposent, eux aussi, d’une large palette de produits chimiques, qu’ils utilisent très fréquemment à des doses par hectare bien supérieures à celles utilisées par leurs collègues conventionnels, notamment en raison de la faible durée d’action de ces produits. Parmi ces formulations chimiques aux noms évocateurs, on trouve l’hydroxyde ou l’oxychlorure de cuivre, le soufre sublimé et trituré, mais aussi toute une gamme de pyréthrines et de phéromones comme le méthylbutanol, l’acétate de Z-8 dodécényle, le codlémone. Et que dire de l’azadirachtine, qui a obtenu une dérogation en juin dernier alors qu’il s’agit d’un perturbateur endocrinien avéré ! À cette très large gamme de produits chimiques (déclinée en plus de 100 spécialités commerciales légales), il faut ajouter une série de mélanges d’huiles essentielles, dont certaines contiennent des neurotoxines et présentent un profil toxicologique plutôt inquiétant (comme le terpène, l’eugénol ou le thymol). Cela n’empêche pas le président d’honneur de l’association antipesticides Générations Futures, Georges Toutain, d’en faire un petit commerce familial avec son fils, à travers leur société Oléo-Eco28. Quid de la traçabilité réelle de ces produits chimiques, dont les formulations ne figurent nulle part – ce qui pose une question quant à leur légalité–, et que l’on retrouve pourtant sur les fruits et légumes vendus chez

Biocoop ? Visiblement, la transparence et l’information aux consommateurs s’arrêtent là où le souhaite le dircom’ du réseau de magasins bio…

Sources

  • N’achetez pas !, L’ADN, 16 mai 2014, www.ladn.eu/actualites/marque,achetez-pas, 30,21675.html
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