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Fausse route pour la réforme Barnier

« Juste », « équitable », « nécessaire», « légitime » : tels sont les termes utilisés par le ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, pour défendre la mise en oeuvre du bilan de santé de la Politique agricole commune (Pac).

Selon lui, les mesures prises dans ce cadre reflètent « les orientation du président de la République ». En filigrane de la réforme, il s’agit de donner une légitimité à la Pac en rééquilibrant les soutiens au profit des « laissés pourcompte du système », à savoir les éleveurs. Mais au-delà des mesures de transfert d’aides, censées prendre aux plus riches pour redonner aux plus pauvres, le ministre prétend pérenniser une politique agricole largement mise à mal par la plupart des autres pays-membres de l’Union européenne (UE). « Si l’on ne renforce pas la légitimité de la Pac, alors certains pourraient tout perdre », a-t-il maintes fois averti. Convaincu que le statu quo est désormais intenable, le ministre justifie ses choix, en l’occurrence préparer un mode de soutien qui résisterait à 2013, date à laquelle l’ensemble des questions budgétaires de l’UE seront remises sur la table.

L’inspiration britannique de M. Sarkozy

Lors du Conseil franco-britannique qui s’est tenu à Londres le 30 mars dernier, les experts britanniques ont clairement évoqué une Pac bien différente de celle défendue jusqu’à présent à Paris. Outre-Manche, la politique agricole se résume davantage à fixer un cadre permettant d’appliquer une politique plus environnementale qu’agricole. « La question des marchés et de leur régulation ne se pose même plus dans les esprits britanniques », commente pour AgraPresse Hervé Pagnol. Le rédacteur en chef note que le premier pilier de la Pac, les aides directes, a été littéralement « supprimé du langage britannique ». Les grandes exploitations anglaises peuvent se satisfaire des aides découplées, tandis que les petites structures « trouveront leur justification dans des produits spécifiques, des appellations et signes de qualité, voire des circuits courts », poursuit-il. Même la baisse de la consommation de viande est considérée comme une excellente nouvelle. « Bonne pour l’environnement… et pour la santé », estiment les Britanniques. Le mariage de l’écologie et du libre marché n’est donc pas que de raison dans un pays où les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture ont déjà fusionné.

Nicolas Sarkozy se serait-il inspiré du modèle britannique pour appliquer à l’agriculture sa propre « révolution écologique », amorcée lors du Grenelle de l’environnement ? « Nous avons une nouvelle ambition pour une agriculture plus durable », avait-il alors déclaré, préférant prendre la défense des éoliennes et de l’agriculture biologique plutôt que celle de l’usage des pesticides et des biotechnologies végétales. Un discours largement assumé par Michel Barnier, qui défend le concept « d’éco-croissance » et dont la devise se résume à « verdir pour survivre ».

Cette devise est partagée par l’Autrichien Franz Fischler. Principal initiateur de la réforme de 2003, l’ancien Commissaire européen à l’Agriculture a introduit le droit à paiement unique (DPU) afin de répondre aux exigences de l’OMC tout en préservant le budget de la Pac par le biais d’un mécanisme permettant de débloquer des fonds communautaires considérables au motif de préserver l’environnement. « Suite à l’accord budgétaire du Conseil de l’Europe d’octobre 2002, le Commissaire Fischler a dessiné la réforme en partant – mutatis mutandis – de l’approche autrichienne, qui met en exergue la multifonctionnalité, l’environnement et la ruralité », explique pour A&E Corrado Pirzio-Biroli, son chef de cabinet de l’époque. En revanche, la réforme a entamé le désengagement des pouvoirs publics dans la gestion des marchés en sacralisant les paiements uniques. Or, comme l’a souligné tout récemment le président de la FNSEA, « le ”tout DPU” ne fait pas une politique » !

Le modèle autrichien

Pourtant, la nouvelle réforme française oriente l’agriculture vers le modèle autrichien. « Lorsque l’Autriche a rejoint l’Union européenne en 1995, nous avons dû mettre en place des mesures pour protéger notre agriculture, qui n’est pas compétitive », explique Maximilian Hardegg, un céréalier autrichien. Depuis, trois programmes agricoles ont été adoptés. Le dernier en date – postérieur à la réforme Fischler – a permis à l’Autriche de profiter au maximum du deuxième pilier, le développement durable. « Avec la réforme Fischler, les agriculteurs autrichiens reçoivent environ 300 euros d’aides à l’hectare en paiement direct. Mais ils survivent grâce aux aides à la montagne et au Programme autrichien pour l’environnement agricole (Öpul), au titre du développement rural », poursuit le céréalier.

Presque 90 % des agriculteurs participent à Öpul, dont le budget, qui s’élève à environ 800 millions d’euros, est cofinancé à hauteur de 60 % par la Communauté européenne et de 40 % par l’État autrichien et les régions. « Ceux qui se sont lancés dans l’agriculture biologique reçoivent deux fois plus d’aides. Avec des rendements en blé inférieurs de 10 à 20 % seulement par rapport aux cultures conventionnelles, ils s’en sortent plutôt bien ! », réagit l’agriculteur autrichien. Cette faible différence s’explique par le fait que les rendements moyens en blé conventionnel se situent à 5 tonnes par hectare – contre 7,5 t/ha pour certaines régions de France. « L’Autriche accuse même une légère baisse de rendement en blé depuis 1995 », rappelle Maximilian Hardegg, qui estime qu’il est « impossible de bien vivre seulement de l’agriculture lorsqu’on est en conventionnel, sauf à posséder une très grande exploitation ». En enracinant la politique agricole dans des mesures environnementales, l’Autriche a donc clairement joué la carte d’une agriculture peu productive. Comble du paradoxe, Franz Fischler a récemment appelé l’Europe à « mettre à jour » sa politique agricole afin de « permettre de préserver notre capacité [européenne] à produire durablement la nourriture dont nous avons besoin, tout en aidant à satisfaire une demande mondiale croissante ». L’ancien commissaire autrichien va jusqu’à souligner la nécessité de faire appel auxbiotechnologies !

Le 11 septembre financier

Conçue pour casser les surproductions et faire baisser les prix, la réforme de 2003 ne se prête pas au contexte actuel. Or, comme le note Nicolas-Jean Brehon, spécialiste des finances communautaires, « la Commission ne s’est absolument pas adaptée au revirement de conjoncture ». Le monde a depuis connu deux évènements particulièrement brutaux : la flambée des prix des matières premières agricoles, et un 11 septembre boursier. La première a rappelé le désastre qu’implique une production agricole déficiente. Occultée par la crise financière et économique de l’automne 2008, la menace de pénurie reste cependant d’actualité, comme le souligne un rapport préparatoire à la réunion du G8 sur l’agriculture, qui s’est tenue du 18 au 20 avril 2009 en Italie. Ses auteurs indiquent que « la crise alimentaire, qui pourrait devenir structurelle si rien n’est fait, aura de graves conséquences non seulement sur les relations commerciales, mais aussi sur les relations sociales et internationales, lesquelles auront un impact direct sur la sécurité et la stabilité de la politique internationale ». Le doublement de la production agricole dans les trente prochaines années est donc devenu un impératif largement partagé, alors qu’il n’a pas été intégré dans la réforme communautaire de 2003.

Par ailleurs, le 11 septembre monétaire et financier a remis sur la table de façon évidente la nécessité du rôle de régulateur des États. « C’est une très bonne chose, car nous ne savons toujours pas maîtriser l’hypervolatilité des cours des matières premières agricoles », assure Jacques Carles, délégué général du Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture (Momagri). Selon les calculs de ce think tank, en l’absence de mécanismes de régulation, la tonne de blé fluctuera au gré des spéculations de 80 à 320 euros d’une année à l’autre, déstabilisant la production mondiale. Cette réalité est plus que jamais prise en compte par la politique agricole américaine. En maintenant dans la loi américaine plusieurs systèmes de soutien, les États-Unis renforcent les filets de sécurité afin de garantir aux agriculteurs un revenu stable, tandis que la réforme de Michel Barnier laisse in fine les revenus évoluer en fonction du marché. Les quelques mesures d’assurances sont bien incapables d’atténuer les fluctuations de prix. En se basant sur l’hypothèse de prix durablement élevés, la réforme de la rue de Varenne ne prépare pas l’après 2013. Ni pour les céréaliers, ni davantage pour les éleveurs.

Les filières viande en manque de restructuration

Ce « rééquilibrage » financier va indéniablement « donner quelques couleurs à la trésorerie, particulièrement malmenée en 2008 », confirment Maryse et Jacky Cochet, éleveurs en Haute-Vienne. Toutefois, les filières ovine et bovine ne pourront pas faire l’économie d’une réflexion plus profonde sur leur restructuration, car ce soutien n’augmentera pas la valeur ajoutée de l’élevage. Pire, « la redistribution des aides ne suffira pas pour offrir un revenu décent aux éleveurs », assure Frédéric Noizet, secrétaire général de la Fédération nationale ovine (FNO). Une étude de l’Institut de l’élevage indique qu’« il est vital que cette nouvelle opportunité soit saisie pour adapter les systèmes et améliorer leur valeur ajoutée ». Faute de quoi cette réforme aboutira à un simple renforcement du poids des primes dans le revenu. Or, la situation certes pas toujours enviable des éleveurs est surtout le résultat de la très faible productivité de ce secteur, signe que l’innovation n’a pas été intégrée dans toutes les exploitations. Il existe en effet de nombreuses améliorations permettant d’améliorer le revenu et d’alléger le temps de travail, comme l’identification électronique des troupeaux et la traite robotisée.

Des réflexions sont également à mener sur les races utilisées, affirme l’Institut de l’élevage. « C’est une production qui laisse du temps libre si l’on sait s’organiser », déclare sans hésitation Dominique Lacaze, éleveur à Lunax (Haute-Garonne), et récemment « converti » au veau sous la mère. Regroupement des vêlages à l’automne, suppression de la tétée du dimanche soir, modernisation d’un local de stabulation, etc., l’éleveur s’est donné les moyens d’obtenir une production à la fois pas trop contraignante et rémunératrice. Enfin, on peut se demander si la filière s’est suffisamment organisée pour bien valoriser sa production, en particulier en ce qui concerne l’engraissement. « On ne peut pas concevoir qu’une région comme le Limousin puisse construire la pérennité de son élevage bovin uniquement sur l’exportation », estime Jean-Michel Fritsch, président du pôle animal de Coop de France.

 Plus d’équité ? Pas si sûr…

La réforme a-t-elle au moins le mérite d’apporter un peu plus d’équité dans les campagnes françaises ? A priori, la réponse est positive au regard du différentiel observé entre les revenus moyens des céréaliers (34 000 euros) et ceux des éleveurs (18 400 euros). Or, tout dépend des paramètres considérés. Comme le notait déjà en 2004 Jean-Pierre Butault, directeur de recherches à l’Ira, dans son ouvrage Les soutiens à l’agriculture, Théorie, histoire, mesure, « si l’on ramène le total des soutiens publics reçus à une unité de dimension économique commune (l’hectare équivalent blé), les écarts entre départements extrêmes sont considérablement réduits. Ramenés à l’hectare équivalent blé, les soutiens totaux sont même supérieurs pour l’orientation bovins viande par rapport à celle des grandes cultures ! » Il en conclut que « lorsqu’on ramène les soutiens publics à une unité de dimension économique qui tient compte de la productivité différente des diverses régions, les aides apparaissent relativement plus favorables aux zones ou aux catégories d’exploitation moins productives » (figure 1a).

La même unité de mesure montre d’ailleurs que le revenu courant par exploitation avant impôt est supérieur pour la filière viande que pour les grandes cultures (figure 1b).

En clair, la réforme de Michel Barnier s’est trompée de sens : davantage d’argent à ceux qui sont le moins productifs, et des prélèvements qui frappent durement les exploitations familiales ayant le plus investi dans les facteurs de production, c’est-à-dire la classe moyenne. Dès lors, on peut se demander si cette réforme est vraiment la meilleure façon de pérenniser le modèle agricole français, ou bien si le ministre ne tente pas tout simplement d’obtenir desgages pour une nomination dans la future Commission européenne…•

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