En saisissant le Conseil d’État au sujet d’un arrêté sur la procédure d’AMM, des ONG ont amené la Haute Assemblée à préciser le périmètre du principe de précaution, suggérant implicitement qu’il y a bien eu des abus de son usage lors de jugements antérieurs
Interrogée par le quotidien Ouest-France, Magali Fenech, la directrice de campagne du collectif Secrets toxiques, reprenant une rumeur distillée depuis des années par la nébuleuse écologiste, a affirmé qu’il y aurait « une faille dans le processus d’homologation des pesticides ». « La législation européenne exige que la toxicité à long terme de ces produits soit évaluée avant leur mise sur le marché. Mais en réalité, on analyse la toxicité de la substance active, pas celle du produit qui est épandu », poursuit la militante, faisant fi de la décision du Conseil d’État rendue à peine trois semaines plus tôt.
Une omission d’autant plus étonnante que c’est à l’initiative de Secrets Toxiques, accompagné d’une multitude d’associations écologistes et de quelques députés du NFP, que le Conseil d’État a été saisi précisément pour analyser cette question, et cela au travers d’un arrêté concernant la procédure française d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques, dont lesdites associations contestaient la légitimité. Or, sa décision, rendue publique le 20 décembre 2024, est sans appel.
Dans le recours défendu par Guillaume Tumerelle, l’avocat des Faucheurs volontaires, l’aspect santé de la procédure d’AMM constituait évidemment le principal argument mis en avant, les ONG soutenant que l’évaluation des produits en France n’était pas conforme à la réglementation européenne et au principe de précaution « tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne ». Il était plus précisément reproché à l’Anses de ne pas procéder à une évaluation des effets cumulés et synergiques du produit commercialisé – qui diffère de la matière active – sur la santé humaine. Et il était également réclamé que des analyses de toxicité à long terme de la formulation complète du produit soient pratiquées systématiquement avant toute autorisation – ce qui n’est nullement une obligation inscrite dans la réglementation française.
Aucune marge de manœuvre des États membres
Sur ces deux points particuliers, et essentiels, le Conseil d’État a désavoué les ONG, rejetant leur recours au motif que le règlement européen ne laisse pas vraiment aux États membres de marges de manœuvre pour définir d’autres règles concernant les informations qui doivent être fournies dans le cadre d’une demande d’AMM d’un produit phytopharmaceutique.
Celles-ci doivent d’ailleurs, « d’une part, comporter toute information en possession du demandeur sur les effets potentiellement nocifs du produit et, d’autre part, permettre à l’autorité compétente de se prononcer, notamment sur les risques à court et long terme pour la santé humaine du fait d’une exposition aiguë ou chronique, y compris en cas d’exposition cumulée à plus d’une substance active et en tenant compte des éventuels effets synergiques néfastes et/ou interactions entre les substances chimiques présentes dans le produit phytopharmaceutique ». Le Conseil d’État a donc estimé qu’à ce titre il n’y avait pas de carence dans la réglementation française, qui permet bien à l’Anses d’exiger du demandeur qu’il lui fournisse, si nécessaire, des éléments complémentaires, dans les conditions prévues par le droit européen en la matière.
Et ce n’est pas tout. Concernant le principe de précaution, la Haute Assemblée a également considéré que son usage n’implique pas automatiquement la production systématique de résultats de tests de toxicité et de cancérogénicité à long terme sur le produit. Il appartient à l’Anses de les demander, au cas par cas, si elle les estime indispensable.
Le Conseil d’État a désavoué les ONG, rejetant leur recours au motif que le règlement européen ne laisse pas vraiment aux États membres de marges de manœuvre
« Cette décision souligne sans équivoque l’adéquation de la procédure française avec le droit européen, qui, je le rappelle, est l’un des plus stricts du monde en matière de protection sanitaire et environnementale », a indiqué à A&E le président de Phyteis, Yves Picquet, qui, par ailleurs, apprécie cette « reconnaissance sur la pertinence et de la qualité des études et des informations que nos adhérents fournissent à l’Anses ».
Il aurait pu ajouter que, à l’inverse de certains jugements du tribunal administratif, les magistrats de cette Haute Assemblée ont validé par leur prise de position le bien-fondé du travail de notre agence nationale. D’où l’importance de cette décision, qui fixe désormais des limites aux contestations juridiques des expertises rendues par l’Anses.